mercredi 18 août 2010

A mi denme un bambuco

« También el bambuco fue
Música de la victoria
Y aunque lo olvide la historia
Yo se lo recordaré
El a Córdoba marcó
El paso de vencedores
Y de los libertadores
La hazaña solemnizó1

El Bambuco” de Rafael Pombo



Le bambuco est parmi les musiques traditionnelles les plus connues et les plus anciennes de Colombie. Développé notamment dans la région andine, il restera longtemps associé à la guerre; joué par les fanfares militaires, dansé par tous y compris Bolivar2. C’est un des premiers styles musicaux (qui s'interprète d'ailleurs à l'aide du tiple, instrument national) à s’être, d’une façon durable, imposé comme création et tradition colombienne. Or, cette tradition s’est affirmée à une époque où l'idée d'une nation, ou de plusieurs nations, était à l'ordre du jour. Ainsi, il serait intéressant d'étudier le bambuco dans ce contexte afin de découvrir ce qui l'a rendu « national ».

José Ignacio Perdomo Escobar parle, dans Historia de la Música en Colombia, d'une « conscience collective » de la « fusion raciale », et dit du bambuco qu'il « appartient au peuple ». Ainsi, il articule l'existence du bambuco avec l'identité colombienne, et ce depuis l'époque coloniale. Joaquin Piñeros Corpas, en 1811, estime que c'est « un auténtico producto de la raza mestiza con un ritmo gozoso a la española y una melodía de nostálgicos acentos muy propios del temperamento indígena3. Aujourd'hui c'est une parfaite mosaïque des origines du folklore colombien, mais à l'époque qu'était-ce ?
Le bambuco marqua l'indépendance, et puis il eut la Grande Colombie, la République de Nouvelle Grenade, la Confédération Grenadine ; plusieurs formations d'États qui visaient à se calquer sur l'unité nationale, si on retient la définition de Ernest Gellner4. En 1886, le République de Colombie verra le jour, séparée de ses États voisins par des frontières auparavant inexistantes.

A vrai dire, il est certainement difficile de parler avec sureté d'une nation à cette époque ; on y observe cependant des étapes qui tendent vers la cristallisation d'une union nationale. Ainsi résulte un scénario quelque peu curieux. La musique traditionnelle, développée depuis l'époque coloniale, sera rattachée dans certains cas à la nation colombienne, à l'instar du bambuco, alors qu'à l'origine cette musique ne connaissait guère les frontières colombiennes, à peine des montagnes qui s'étendaient de Putumayo à Mérida. Pour certains, cela s'explique assez logiquement. Perdomo dira justement que Bolivar voyait dans la musique traditionnelle l'expression spontanée de la liberté : des influences apportées de toute parts qui évoluèrent en une synthèse dynamique et vivante et surtout, indépendante. Avant de parler de nation colombienne, l'idée de nation signifiait avant tout la liberté. D'abord par rapport aux espagnols, et puis par rapport à ceux qui au long du XIXème siècle seront écartés par des frontières.

Après l'indépendance, comment le bambuco resta-t-il donc une musique nationale ? Cette musique traditionnelle et folklorique fera l’objet d’un intéressant usage politique et social. D’une part elle sera interprétée et instrumentalisée par les militaires comme une musique nationale, qui les accompagnera lors du coup d'État de 1854 5. D’autre part elle sera rappropriée par le reste des colombiens pendant longtemps. Après y avoir associé la guerre pour l'indépendance, la guerre civile, on y rattachera le souvenir de la guerre. Ainsi des bambucos populaires chanteront plus tard « Tu vas a la guerra Juan / De la guerra pocos vuelven / y a la guerra muchos van »6. Or, le souvenir de la guerre est aussi une composante de la nation, selon Renan par exemple, qui disait « La nation, comme l'individu, est l'aboutissant d'un long passé d'efforts, de sacrifices et de dévouements »7
Le bambuco paraît faire ainsi preuve d'évolution et d'adaptation, à la nation d'une part, car aujourd'hui encore l'État traite de « mantener vivo el bambuco como expresión tradicional del folclor colombiano. »8. D'autre part, le bambuco s'adaptera aux différentes régions de la Colombie : a Cundinamarca on y rajoutera le chucho (instrument de percussion), à la région llanera, les maracas, qui illustrent les apports indigènes, puis au littoral le calabazo de manija. Ainsi, une musique traditionnelle antérieure à la création de l'État colombien aura le mérite de s’être, en plus de ses nombreuses origines (calquées sur la formation de l'État colombien), adaptée aux pratiques instrumentales des différentes régions de Colombie.




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1POMBO Rafael, El Bambuco. En la Américas, Bogotá, año I 1873, p. 26
2ESCOBAR, José Ignacio Perdomo, Historia de la Música de Colombia, Bogotá, Editorial ABC, 1963, p.120
3Traduction approximative : « un produit authentique de la race métisse avec un rythme agréable à la façon espagnole et une mélodie d'accents nostalgiques très propre du tempérament indigène ».
PIÑEROS CORPAS J., Introducción al cancionero noble de Colombia (Bogotá, edición especial de la Universidad de los Andes, 1962)
4GELLNER Ernest, Naciones y Nacionalismo. Madrid: Alianza Editorial, 1988
5ESCOBAR, José Ignacio Perdomo, Historia de la Música de Colombia, Bogotá, Editorial ABC, 1963, p.120
6Traduction approximative: « Tu vas à la guerre, Juan / De la guerre peu en reviennent / Et à la guerre beaucoup vont »
Bambuco populaire cité dans :
ESCOBAR, José Ignacio Perdomo, Historia de la Música de Colombia, Bogotá, Editorial ABC, 1963
7Discours de Ernest Renan, prononcé à la Sorbonne le 11 mars 1882,http://www.rutebeuf.com/textes/renan01.html consulté le 18/08/10 à 18:06
8Traduction approximative: «Garder en vie le bambuco comme expression traditionnelle du folklore colombien »
Citation extraite de http://www.mincultura.gov.co/index.php?idcategoria=38225 consulté le 16/08/10 à 20:12

Arrivée à Bogota

C'est le Bicentenario colombien, on célèbre l'identité colombienne. La musique électronique s'infiltre dans les sons du vallenato et de la cumbia lors du festival Colombia al Parque en rassemblant des centaines de jeunes sous la pluie. A Medellín, lors du desfile de los silleteros de la Feria de las Flores, un char fera son passage jouant de la musique traditionnelle - à la guitare électrique. Prochainement, Salsa al parque et Jazz al parque, des festivals organisés par des organismes publics, continueront de rassembler des individus autour de la musique traditionnelle et ce avec grande approbation du public.
Et quoi de plus normal ? Le chanteur de Systema Solar parlera lors d'un concert de « la richesse musicale colombienne qui dialogue avec le monde ». De fait la musique traditionnelle colombienne (qui ne signifie pas qu'elle soit exclusivement colombienne et attention c'est un piège) paraît s'harmoniser avec les influences internationales.Mais quels sont les échanges musicaux au sein de la Colombie ?
Peut être dira-t-on que la musique n'est pas un reflet absolu de la politique, et avec raison. Mais dès l'instant où la question se pose, et se pose à nouveau, la musique jusqu'à présent vide de sens politique, s'en voit débordée.
Lors du premier axe que dessinera cette recherche, l'accent sera mis sur l'origine de la musique traditionnelle, comprendre d'où est parue cette dénomination et quels acteurs en sont à l'origine. De même, il sera intéressant d'entrevoir la différence entre ce que l'on entend par musique traditionnelle et par musique folklorique. Serait-il possible que la dénomination énoncée par tel acteur à tel moment donné ait le pouvoir de bloquer un style de musique dans le temps et donner libre cours à l'évolution d'un autre ? Que le torbellino soit condamné à rester folklorique alors que la cumbia, traditionnelle et d'actualité, évolue avec le temps ? Que cela en dise beaucoup sur la place de leurs compositeurs ?

mardi 3 août 2010

Introduction


Qu'entend-on par musique nationale en Amérique Latine ? La cumbia jouée à la pampa, à San Javier, le tango dans les rues de Santa Fe, le Vallenato qui résonne dans Bogotá, dans tous ces cas de figure, parlerait-on de musique nationale ? Définir celle-ci parait être encore plus dur que définir une Nation. Elle est parfois instrumentalisée par l’Etat afin de créer un sentiment d’appartenance nationale et parfois même réappropriée par les individus - devenant ainsi une dimension culturelle de la nation. En toutes circonstances, que l’Etat s’en serve comme emblème national, ou bien qu’elle soit née des entrailles de la nation, la musique nationale reste soit le support d’un message particulier, soit un support qui peut être livré à toute interprétation. Or la musique nationale est celle qui parle (pour ne pas dire qui chante) aux individus au sein d'un pays, d’où son important rôle politique. Cette recherche a pour but d’éclairer ce qui se dit dans ces dialogues entre Etat, Musique et Nation. Les individus se rapproprient-ils facilement de la musique bénie par l’Etat ? D'ailleurs, jusqu'à quelle mesure la musique nationale reflète-t-elle la nation ?
La nation reste un concept très variable sans définition très consensuelle, ainsi cette recherche ne prétend pas prôner une vérité absolue, mais à peine esquisser l’intérêt d’une étude sur l'instrumentalisation de la musique, dans le sens où celle-ci représente une relation entre acteurs politiques. De plus, à l’heure de la mondialisation, à l’heure du Vallenato électronique, il convient également de repenser l'avenir de la musique traditionnelle. Afin de traiter plus en profondeur le sujet, deux cas seront étudiés : la Colombie et l'Argentine. Le premier préserve des régions très hétérogènes et musicalement tout aussi distinctes, le deuxième un bon exemple de l’influence que peut avoir l’immigration dans la tradition musicale.