mercredi 22 septembre 2010

la cueca sola

Lors d'un court séjour au Chili, à l'heure de son bicentenario, il a été facile de repérer la cueca comme danse et musique nationale. Considérablement généralisée sur l'étendue du pays elle parait aussi l'être au sein de la population. De plus, le contact avec la cueca est constant : des soirées en boîte présentent des groupes de cueca en direct, la radio y consacre une bonne partie de sa programmation et ce jusqu’à l'intérieur de la Va region, où dans le pueblo de Patorca, une fête en l'honneur du bicentenario présentera des enfants dansant la cueca (photo) et faisant revivre la tradition nationale.
Autant l’on fera souvent allusion à la Cueca comme danse et musique nationale chilienne (« la chilena »), autant, à l’instar de la cumbia ou de la salsa, elle est aussi présente dans le reste de l’Amérique Latine et notamment en Bolivie et au Pérou, comme une sorte de folklore partagé.

Au Chili la Cueca fut utilisée comme symbole de protestation. A l’époque de la dictature de Pinochet, quand les « détentions et disparitions » d’hommes continuèrent d’augmenter, les chiliennes innovèrent avec la Cueca Sola : la cueca dansée seule, avec l’habituel « pañuelo »  et la photo du mari. Ce sera le support d'un message politique, de révolte, de deuil et le symbole de leur lutte contre la dictature.




samedi 4 septembre 2010

La Musique Nationale du Mundo al Dia

Le journal bogotanais, Mundo al día (1924-1938), contribua considérablement à développer une notion de musique nationale en Colombie. Tous les samedis, des partitions paraissaient dans la collection musicale du journal. Ces partitions étaient pour la plupart celles de chansons inédites composées à l’époque même, et souvent dédiées aux responsables du journal et rattachées à des événements du moment. Elles relevaient de toutes sortes de styles populaires, pasillosbambucostorbellinos… Or, cette édition sabbatine sera exposée par ses éditeurs comme un répertoire de la musique nationale, ce qui inaugurera un grand débat sur ce que l’on entend par ce concept.



Selon plusieurs personnalités impliquées dans ce débat, il n’est pas question de confondre musique populaire et musique nationale. Guillermo Uribe Holguín dira de l’art populaire que c’est un art faux[1]. Selon lui, la confusion est due au mauvais goût ou à l’ignorance. De fait, étant un compositeur classique, Holguín utilisera dans « El terruño »[2] des cellules rythmiques du pasillo en évitant les mélodies traditionnelles qui l’accompagneraient normalement ; il cristallisera ainsi une composition classique inspirée par la culture nationale, témoignant également de grandes influences européennes – où il reçut une prestigieuse éducation classique. Mais sa composition ne sera réellement approuvée que par l’élite, qui lui attribuera d’ailleurs un prix[3]. En effet, ce sera aussi l'emblème d'une certaine aspiration à assembler influences européennes et airs nationaux, qui sera désignée par le nom de nationalisme musical ; on retrouvera des expériences similaires dans le reste de l'Amérique Latine, à l'instar de Heitor Villa-lobos au Brésil. Au sujet de "Del terruño", Jaime Cortes Polanía comenta que “El publico recibió la obra sin mayor aliento pues no reconoció la música nacional que suponía estaba allí presente”[4]Rafael Mariño, dans un article pour Mundo al Día, estime que Holguín composait des œuvres sans sabor colombien, car il ne connaissait ou ne sentait pas ces thèmes colombiens[5]. Holguin fut ainsi accusé d’être égaré par son éducation musicale européenne.



Ce débat, esquissant une remise en question de la légitimité de l’art populaire comme art national, semblerait au premier abord être la modélisation d’une opposition entre l’élite et la masse. Quand Bermundez dit que l’orchestration de la musique populaire est la déformation de la « physionomie propre des airs populaires » il entend aussi que la musique nationale ne peut être classique, car n’ayant pas la physionomie populaire, la rappropriation par la population est moins envisageable [6]. Ainsi, ceux qui défendent la musique populaire comme musique nationale s’accordent surtout sur la rappropriation par tous comme un critère nécessaire à sa définition .

Un élément qui parait avoir été décisif dans cette équation est le développement relativement tardif de la musique classique en Colombie. Bermundez dira également en 1927, non pas sans un certain esprit provocateur, que depuis 17 ans (soit depuis la réforme du Conservatoire réalisée par Holguín), pas un seul vrai nom de compositeur classique colombien ne s’était affirmé [7]. Le critique est double : d’une part il souligne le retard du Conservatoire Colombien, d’autre part critiquer l’ambition qu’avait Holguín de développer un conservatoire à la mode européenne [8].

Bien évidemment, ce débat n’a pas eu raison de la musique populaire. D’autre part, on constate rapidement que ce n’est pas tant une opposition calquée sur les classes sociales. Il y a bien des traces, remontant au XIX ème siècle, qui illustrent l’infiltration de la musique populaire au sein des élites. Les récits de l’anglais Charles Stuart Cochrane, en 1823, attestent de sa présence dans toute sorte de contextes ; il raconte des fêtes où « des invités de toutes classes sociales dansaient au son d’une guitare […], un officier républicain dansa un fandango avec une jeune femme »[9]… Miguel Gonzalez rajoutera qu’à cette époque, sûrement en raison d’une grande mobilité sociale, les frontières semblaient se nuancer de plus en plus entre la culture populaire et celle d’élite. Cela expliquerait que le bambuco ait intégré les cercles sociaux de l’élite alors que la valse a fait chemin contraire, intégrée dans la classe populaire et « transformée » en pasillo.


Un mythe

Dès lors, quel sens pouvons-nous tirer de ce débat ? Les avis divergents sur la nature de la musique nationale, à l’origine de cette polémique, se sont développés à l’ombre d’un manque d’informations et de fausses idées reçues, selon Polania. Ces lacunes qui persistent à l’heure où les moyens de communication commencent à se développer, laissent une place propice à des mythes. Benedict Anderson définissait la nation comme érigée sur des mythes, un imaginaire du passé, afin d’unifier une perspective sur celui-ci et par la même unifier les individus au sein d’une nation [10]. Dans ce cas étudié, si la question a provoqué une polémique, le Mundo al Dia, a certainement eu un impact à l’abri de toute divergence. De fait, des centaines de partitions ont été diffusées a des milliers d’exemplaires, et la musique publiée, par définition populaire et par convention nationale, s’est propagée. Peut être ces publications ont-elles beaucoup influencé l’imaginaire collectif, peut être ont-elles contribué à la création d’un mythe.

Ce débat n’eut jamais de conclusion, dans le sens où la discussion n’aboutit à aucun consensus. Mais par la suite, d’une part en raison de l’évolution de la société tendant vers une mobilité sociale accrue, d’autre part par la diffusion pragmatique de partitions, le débat fut clos, ou du moins ignoré. La musique populaire et nationale se rependit verticalement, s’infiltrant chez les élites, et horizontalement dans l’ensemble du territoire. Ainsi, grâce à une polémique, fut pensée peut être pour la première fois de façon aussi explicite l’idée d’une musique nationale en Colombie.







[1] HOLGUIN, Guillermo, « Triunfaremos », Revista del Conservatorio, I, 3, 1911, pp. 33-34
[2] « Del Terruño » Sinfonía n°2, Opus 15, Guillermo Uribe Holguin, 1924
[3]  El Concurso musical gubernamental convocado para los festerjos patrios, cité dans :
POLANIA, José Cortés, La Música Nacional Popular Colombiana en la Colección Mundo al Día (1924-1938), Bogota, Universidad Nacional de Colombia, Unibiblos, 2004, pp. 57
[4] Ibid, pp. 58
[5] Tradution approximative : “Le public recevra sans animosité l’oeuvre, sans discerner la musique nationale qu’on y supposera présente”
MARIÑO PINTO, Rafael, “Los conciertos sinfónicos, Los Aires nacionales de Uribe Holguin", en Mundo al Día, n°995, mayo 17, 1927, p.21
[6] BERMUNDEZ SILVA, José, « Instrucción musical y Música nacional », en MD,  n°999-1000, mayo 21, 1927, pp. 45, 47, 48.
[7]  Ibid, pp.47
[8]  MARIÑO PINTO, Rafael, “Los conciertos sinfónicos.  Los Aires nacionales de Uribe Holguín”, en Mundo al Día, n°995, mayo 17, 1927, p.21
[9] COCHRANE, Charles Stuart, Viaje por Colombia 1823-1824. Santafé de Bogota: Biblioteca V centenario. Ed. Colcultura-Banco de la República, 1994.
[10] ANDERSON, Benedict, Comunidades imaginadas. México : Fondo de Cultura Económica, 1978